mardi 3 juin 2008

Annulation de mariage : la virginité est-elle une "qualité essentielle" de la personne ?

MarieeL'actualité de la semaine, c'est bien sûr la polémique autour de la décision rendue par le Tribunal de Grande Instance de Lille, qui a prononcé l'annulation d'un mariage sur la demande du mari, au motif que son épouse lui avait menti : elle n'était pas vierge! La coquine... Toute la classe politique se dit consternée, parce qu'il s'agit d'une régression dans le statut de la femme, sauf Rachida Dati, qu'a dit au début que ça protégeait la femme. Mais elle n'a jamais expliqué en quoi répudier sa femme permettait de la protéger. Du coup, elle demande au tribunal de revenir sur sa décision, comme quoi, elle sait vraiment de quoi elle parle.

Sur le fond, on peut en effet s'opposer à l'esprit de la décision. Au mieux, il s'agit de réduire une femme à un objet, comme une voiture ou un appartement, pour lesquels on peut annuler le contrat de vente pour "vice caché", sachant que l'on peut jouer ici sur les mots et l'ambiguïté du terme "vice". Au pire, on peut penser que des pratiques et traditions propres à une religion s'imposent à la république laïque. Les deux époux étant musulmans, la justice Française ne fait que cautionner des relations homme-femme décrites dans le Coran, où l'on parle bien souvent de "prisonnière", pour nommer l'épouse, et énoncer les droits de l'époux à son égard. Et puis, le mari, lui, il était vierge ? On lui a demandé de l'être ? "Mais non, moi je suis un homme! C'est elle la tentatrice qui a le diable dans le corps!"

Sur la forme, et la lettre, la décision est assez incontestable : elle n'a pas été prononcée pour des motifs religieux, mais bien au nom de l'article 180 du code civil, qui dit : "s'il y a eu erreur dans la personne, ou sur des qualités essentielles de la personne, l'autre époux peut demander la nullité du mariage". La mariée a bien menti sur sa virginité, si bien que le consentement du mari peut être considéré comme non-libre, sous-entendu, pas assez bien éclairé pour être libre. On peut donc se dire "consterné", il n'empêche que le juge ne fait qu'appliquer la loi, selon la marge d'interprétation que lui laisse le texte. On ne va quand même reprocher au juge d'interpréter la loi! Certes, il y a des lois parce que les hommes sont imparfaits, mais il y a des juges pour adapter les règles générales aux cas particuliers. On ne passe pas en justice comme on passe son code de la route, et il serait tout aussi discutable qu'un juge applique un loi de manière aveugle et irréfléchie, ou encore "mécaniquement".

platon2C'est le texte qu'il faudrait donc revoir, pour plus tard, plutôt que la décision du juge. Et tout le problème de ce texte tient dans la notion de "qualité essentielle de la personne". Comme souvent, c'est flou ou ambigu. La jurisprudence précise ce qu'on peut entendre par "qualités essentielles de la personne" : "la poursuite d'une relation extraconjugale", "divorcé", "condamné de droit commun", etc. Bref, on n'est pas plus avancé. Qu'est-ce qu'une qualité essentielle ? Depuis la philosophie antique, et notamment chez Platon et Aristote, l'essence d'une chose, c'est sa nature; ce qui fait qu'une chose est ce qu'elle est, et sans quoi, elle n'est plus. Par suite, on distingue deux genres de qualités : d'une part les qualités "essentielles", relatives à l'essence d'une chose. Par exemple, le fait d'avoir des pieds est une qualité essentielle d'une table. Si on lui retire,ce n'est plus une table (mais une planche). D'autres part, il y a les qualités "accidentelles", qui ne constituent pas la nature même de la chose. Par exemple, le fait qu'une table soit en bois, plutôt qu'en fer, n'empêche pas qu'elle soit une table. Le problème, c'est que si je parle de cette table-ci, en particulier (que mes parents l'ont acheté pour mon entrée au lycée), on peut considérer que le fait qu'elle soit en bois soit une qualité essentielle de cette table, parce que c'est bien cette qualité qui fait de cette table ma table, et pas une autre, celle sur laquelle j'ai passé du temps, qui ne ressemble à aucune autre, etc. On comprend donc que, même en métaphysique (ou en philosophie), la notion d'essence pose des problèmes.

Qu'en est-il pour cette épouse ? Le même problème se pose : quand on parle des "qualités essentielles de la personne", il faut savoir s'il s'agit de la personne humaine en général, ou de cette personne-là, en particulier. S'il s'agit de cette personne-là, la question est de savoir pourquoi son futur mari veut l'épouser elle et pas une autre. Est-il amoureux d'elle ? Et si oui, pourquoi ? Parce qu'elle est vierge ? Si ce n'est que cela, il y en a plein d'autres, des vierges. Ce n'est donc pas une qualité essentielle de cette femme, qui la distingue de toutes les autres. On peut aimer une personne pour son caractère, sa gentillesse, sa beauté même, si on veut. Ce qui devrait compter, c'est tout ce qui fait la particularité de la personne. Donc, pas la virginité.

S'il s'agit de la personne humaine en général, peut-on dire que la virginité est une qualité essentielle ? Est-on moins humain parce qu'on n'est pas vierge ? Ou moins femme parce qu'on n'est pas vierge ? La femme serait donc un simple objet sexuel/future mère, qu'il faut acheter neuf et pas d'occasion ? Un avocat de mes amis a eu l'excellente idée de limiter les qualités essentielles à l'intimité. On ne peut pas reprocher à une personne d'avoir menti sur son intimité, dans la mesure où, par définition, ça ne regarde personne d'autre qu'elle. Voilà ce qui est essentiel à la personne humaine : c'est de ne pas la réduire à un objet et un animal, et considérer qu'il y a des choses qui n'appartiennent qu'à elle, en bref, qu'elle est libre. Quant à savoir où s'arrête l'intimité, notre ami avocat la limite à la santé publique, histoire de ne pas tout mettre dans le même panier. A partir du moment où le secret sur ses "qualités" intimes ne mettent personne en danger, elle n'est pas tenue de les révéler.

Voilà quelques idées pour réformer le code civil, sans doute...

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