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Retour le 4 janvier 2010...
Pour échanger sur ces sujets, comme d’habitude, trois invités :
Ceux qui croient trouver des réponses toutes faites en seront pour leurs frais. Comment ai-je pu... est un livre de philosophie. Une matière qui, comme chacun sait, incite à penser par soi-même. Gilles Vervisch préfère donc donner des pistes de réflexion, afin de tenter d'éclairer d'un jour nouveau nos décisions, nos choix, nos renoncements...
Ainsi, le chapitre Comment ai-je pu rester aussi longtemps avec un mec aussi con ? trouve des réponses du côté de la préservation de l'espèce humaine, du fantasme, et même du mythe de la caverne de Platon... Comment échapper à l'ennui du dimanche après-midi va voir du côté de Sisyphe, de l'absurdité de la vie, de notre condition de mortel et pour tout dire, du sens de l'existence.
Il ne faut pas s'y tromper : ceci est de la philosophie. Certains passages nécessitent une lecture attentive, voire plusieurs lectures. Mais Gilles Vervisch a le chic pour vulgariser et faire comprendre. Surtout, la nature l'a doté d'un sens de l'humour corrosif, qu'il sait parfaitement mettre au service de sa discipline.
"1. Groupe d'hommes auxquels on suppose une origine commune."Reste à savoir qui est ce "on". S'agit-il de l'ethnologue, de l'historien ou de l'anthropologue? Dans ce cas, il faudrait savoir de quelle origine on parle, aussi bien dans sa nature (ethnique, politique, religieuse, géographique, etc.), que dans le temps: on remonte jusqu'à quand? Quelle époque considère-t-on comme étant "l'origine" d'une nation? Pour la France, par exemple; on pourrait considérer que la naissance de la Nation remonte à la Révolution de 1789. Pourtant, les individus qui ont déclaré l'institution de la Nation Française se reconnaissaient déjà, alors, une origine commune. Faut-il remonter au moyen-âge? A l'antiquité, plutôt, comme lorsqu'on parle de "nos ancêtres les gaulois"? Mais ne s'agit-il pas plutôt des francs et de Clovis, leur premier roi? Il faut plutôt admettre que l'origine est bien difficile à définir, et ceux qui pensent pouvoir identifier des "français de souche", aurait bien du mal à nous dire à quelle époque leur arbre a été planté et surtout, de quelle espèce il s'agit! En fait, chaque "nation" est constituée et continuellement transformée par des flux de migrations. Personnellement, j'ai un grand-père qui est né en Belgique, à Anvers. Je suis donc loin d'être un français de souche, quelle que soit l'origine qu'on voudrait définir arbitrairement.
Comment est né ce livre?
Gilles Vervisch : «Je voulais écrire un livre non pas de vulgarisation mais bien de démocratisation philosophique parce que je crois que les gens sont aujourd'hui en quête de réflexion et de sens. La philo souffre de deux préjugés largement répandus. Pour le grand public, les questions philosophiques ont peu de rapport avec la réalité.
En gros: «La philo, c'est des gros pavés remplis de mots incompréhensibles». Et à l'inverse, il y a du côté des élites une certaine tendance à entretenir cette obscurité. «Moins les gens comprennent plus on est savant», se rassurent-ils.»
La philosophie, c'est amusant?
«Disons que l'humour me sert à faire passer bien des choses. Y compris en classe de philo. Je cherche à réconcilier le public avec une discipline qui peut sembler très spécialisée et qui est finalement universelle. Philosopher c'est, par principe, réfléchir par soi-même… pour ne plus croire au Père Noël, par exemple.»
- Qui a inventé les bonbons Ricola?
- La Suisse...
- Qui a inventé la neutralité?
- La Suisse...
§1. Sommes-nous libres ? On aura sans doute entendu dire que Lévi-Strauss était au cœur des grands débats intellectuels du xxème siècle, comme il n’en existe plus aujourd’hui. Jean-Paul Sartre, en particulier, s’opposait au courant « structuraliste » auquel appartenait Lévi-Strauss. Pourquoi ? Parce que Sartre soutient l’idée selon laquelle chaque homme est libre et responsable de ses actes. Une affirmation qui permet de mettre en défaut tous ceux qui cherchent à excuser leurs crimes en prétendant avoir obéi aux ordres ou aux lois, comme les nazis ou les collaborateurs de la France de Vichy. D’ailleurs, chacun d’entre nous a bien le sentiment d’être libre: le cours de ma vie est le résultat des choix tout à fait personnels que je fais et qui ne regardent que moi : on choisit telle filière au lycée, on s’oriente vers tel métier ; on tombe amoureux de telle fille « parce que c’était elle, parce que c’était moi ». Et si l’on peut se plaindre d’avoir à obéir à la morale ou aux lois, on croit savoir pourquoi : c’est mal de tuer, les hommes doivent être libres et égaux, etc.
§2. Mais si l’on gratte un peu, on se rend compte que la plupart de nos opinions nous viennent d’on-ne-sait-où; on ne sait pas trop pourquoi on pense ce qu’on pense. On nous a toujours appris qu’il fallait faire ceci et ne pas faire cela, mais au fond, on ne sait pas bien pourquoi ça c’est bien et ça c’est mal. Alors, on obéit, simplement parce que c’est la règle. Ainsi, on semble moins libre qu’on ne le croyait d’abord, en découvrant que nous nous contentons de nous conformer à des conventions sociales sur lesquelles on ne s’est jamais vraiment interrogé (1). Et le sociologue finit par nous apprendre que les grandes décisions de notre vie qui nous paraissaient si intimes et si personnelles, correspondent à une norme statistique. Il y a des saisons pendant lesquelles « on » fait des enfants, d’autres pendant lesquelles « on » se marie ; et les fils d’ouvriers s’orientent vers certains métiers différents ces enfants de classe moyenne. Même le suicide qui pourrait apparaître comme l’acte le plus inexplicable, semble pouvoir s’expliquer par des causes sociales (2).
§3. Ainsi, les sciences humaines du xxème siècle tendent à montrer qu’on est le produit d’une société . C’est d’abord ce que signifie la « structure » du structuralisme : nous ne sommes pas des individus, des "atomes" indépendants les uns des autres, dont le comportement de chacun pourrait s’expliquer par lui-même. Nous sommes chacun les éléments d’un système social, d’une structure qui définissent nos pensées et nos actes. En fait, nous nous croyons libres un peu comme si chaque rouage d’une horloge croyait se mouvoir et tourner par lui-même parce qu’il le veut (3), alors qu’il est mis en mouvement par un autre rouage, lui-même mis en mouvement par un autre, etc. Et les mouvements de tous ces rouages s’expliquent à partir de l’ensemble auquel ils appartiennent, à savoir l’horloge. Du coup, si l’on veut comprendre pourquoi tel rouage de l’horloge est placé ici plutôt que là, et tourne dans un sens plutôt que dans un autre, il faut partir de l’ensemble du système ; autrement dit, savoir comment et pourquoi une horloge fonctionne. Il serait bien idiot celui qui se demanderait simplement : « qu’est-ce qui lui prend à c't engrenage ? Pourquoi a-t-il décidé de tourner ? »
§5. Quant au « structuralisme », c’est la méthode utilisée et revendiquée par Lévi-Strauss pour étudier ces sociétés afin d’éviter les erreurs ou les échecs de ses prédécesseurs comme Boas ou Malinowski. Pour faire court, deux obstacles se présentent à l’ethnologue : d’abord, le risque d’expliquer l’esprit et les coutumes d’une société différente de la sienne, à partir de la culture de sa propre société. En bref, l'ehnologue a tendance à transposer les valeurs de sa propre culture pour en comprendre une autre, si bien qu’il n’y comprend rien et fausse tout (Malinowski). Ensuite, quand bien même on voudrait éviter ces préjugés, il paraît impossible de comprendre une société qui n’est pas la sienne, dans la mesure où cela demande de connaître tous les éléments qui la composent (religion, mœurs, lois, etc.), d’en dégager le pourquoi, la raison d’être, ce qui suppose de retracer l’histoire de cette société. Tache infinie et d’autant plus dure quand il s’agit d’une société sans écrit (Boas). Quelle est donc la solution du « géant » Lévi-Strauss ?
§6. Pour le comprendre, il faut remonter aux influences que l’ethnologue avoue lui-même avoir subies, à commencer par celle de la psychanalyse de Freud. En effet, elle nous montre que certains de nos actes ou de nos pensées s’expliquent par notre Inconscient, que chacun peut apercevoir dans ses rêves. Parfois, nos rêves nous paraissent dénués de sens : « pourquoi ai-je donc rêvé que je faisais l’amour avec Nicolas Sarkozy ? » N’importe quoi ! Ou encore, pourquoi ai-je oublié mes clés chez cette jeune femme ? Freud nous dit que tout cela n’est pas dénué de sens, mais manifeste des pensées ou des désirs inconscients, c’est-à-dire qu’on ignore soi-même. Ainsi, Lévi-Strauss définit l’ethnologie de la même manière : elle a pour but de retrouver les raisons inconscientes qui expliquent les différents éléments d'une culture. Mais ces raisons ne sont pas à trouver dans l’Inconscient de chaque individu !
§7. Pour Lévi-Strauss, les raisons inconscientes qui expliquent les croyances et pratiques des différentes sociétés se présentent sous la forme de structures, que l'ethnologue se propose de découvrir et de révéler. Cette idée lui a été inspirée par la linguistique contemporaine, qui est parvenue à montrer que derrière la diversité des langues, il y avait en fait des structures ou logiques du langage qui sont à peu près les mêmes. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, il n’y a pas une infinité de manières de produire des sons et de les articuler entre eux. C’est ainsi que les problèmes de l’ethnologie semblent réglés : plutôt que de chercher à décrire et à connaître toutes les cultures humaines pour faire une impossible revue de ce que peut être une société humaine, on cherchera les structures communes inconscientes qui se retrouvent dans toutes les cultures, qu’on les disent primitives ou développées.
Conclusion ? On peut rejeter le structuralisme parce qu’il remet en cause l’idée selon laquelle l’homme est libre. Pour une science humaine, chaque individu semble être le jouet, l’élément de structures sociales qui lui échappent, tout comme le français qui parle utilise des mots qu’il n’a pas choisis. Mais, comme on l’a entendu dire à la télé, l’œuvre de Lévi-Strauss permet de remettre en cause aussi et surtout, toute pensée raciste, xénophobe et toute idée que les cultures différentes de la mienne sont inhumaines, sous-développées, etc. Si les structures sont toujours les mêmes, c’est bien qu’une seule humanité s’organise partout et toujours à travers toutes les sociétés quelle qu’elle soit. L’autre, quelles que soient ses différences, est toujours mon semblable. Cette idée, on la trouvera particulièrement bien exprimée dans le texte sans doute le plus court, le plus important et en même temps, le plus facile à lire de Lévi-Strauss : Race et Histoire. Commencez donc par lire ça, avant de vous lancer dans Tristes Tropiques ou les deux volumes de l’anthropologie structurale.
(1) On en parle un peu plus dans le Comment ai-je pu croire au Père Noël?, ch 4.
(2) Voir l'étude d'Emile Durkheim, un des pères de la sociologie, auquel Lévi-Strauss se réfère volontier, dans Le suicide, "Quadrige", PUF, 1995.
(3) Cette idée d'une illusion de la liberté est une thèse bien montrée et connue chez Spinoza, sauf qu'il parle d'une pierre, plutôt que des rouages d'une horloge. Voir notamment "Lettre LVIII" (à Schuller), in Spinoza, Oeuvres 4, GF-Flammarion, 1966.
Nana Mouskouri, lorsqu'elle reprend la chanson un peu plus tard, commet la même absurdité. A la limite, on lui pardonne, elle est grecque, elle parle pas vraiment la langue, et peut-être qu'en Grèce les gens se suivent à reculons. C'est possible. J'y crois moyen, mais c'est possible. Mais quand, plus récemment, Emilie Loizeau ne change pas un mot de ce texte imbécile, c'est inacceptable. Se permettre de propager de telles horreurs au vingt-et-unième siècle est à la limite du criminel. D'autant plus qu'entre temps, et il faut lui en rendre grâce, Hugues Aufray avait eu le bon goût de rétablir la vraisemblance en transformant le vers débile en Alors je lui ai dit voulez-vous m'épouser. Ce qui est assez parisien.
Troze adv., excès de cuirComme taitre ou vins, troze appartient à la famille des mots qu'existent pas (et qu'on utilise quand même) pataquèsifs. Troze s'utilise quand il est question de quelque chose que ce serait mieux si c'était moins et qui commence par une voyelle. Par exemple, quand on est en présence d'une injustice flagrante et démesurée, on doit dire que c'est vraiment troze injuste. En effet, l'expérience montre que si l'on s'aventure à dire que c'est vraiment trop pinjuste, on s'expose systématiquement sinon aux quolibets, du moins à des gros yeux. Ce qui est vraiment troze injuste, parce qu'en fait on devrait dire trop pinjuste, en vrai.
On a trop souvent (là on ne peut pas dire troze, car souvent ne commençant pas par une voyelle, nul n'est besoin de tergiverser sur la liaison) l'impression que troze n'est employé que par des candidats petitement cérébrés d'émissions de télé-réalité (e.g. Nan, tu vois, sérieux, j'veux dire, je trouve que Jonathan il est troze énervant à vouloir être le chef de la maison, tu comprends...). En fait non, on trouve des usages de troze même chez des gens au-dessus de tout soupçon. Ainsi, dans sa chanson Strindberg 2007*, sous-titrée (à une autre banale harriet bosse, à une autre mécanique féminine vénale), Hubert-Félix Thiéfaine affirme-t-il : "T'étais juste une fille comm' les autres, jolies rondeurs belles fissures, blonde mais pas de quoi faire honneur à mes troze anciennes blessures".
Il vieillit un peu Thiéfaine, non ? Maintenant, ses textes ne sont presque pas plus compliqués à comprendre que le Tractatus Logico-philosophicus de Wittgenstein. Sauf les titres, peut-être...
* Dans son plaisant album de duos avec Paul Personne, Amicalement Blues.